Le Centre d'art Passerelle à Brest, présente Nocturne du québécois Jean-Pierre Aubé. Cette exposition est le carnet de voyage d'un arpenteur de rêve. Responsable de la coordination des évènements au centre d'art Passerelle à Brest, la curiosité m'emporte toujours pour découvrir les lieux non institutionnels, les friches, les lieux intermédiaires, quartiers éphémères qui sont souvent les véritables creusets de création et de diffusion des œuvres d'art, mais aussi qui constituent des formes originales de gestion.

Fin août 2001, je suis allée à Montréal pour préparer une exposition mais aussi pour découvrir les centres d'arts du Québec. La Fonderie Darling m'intéressait, car j'imaginais ce lieu assez proche du centre d'art Passerelle qui fût une ancienne mûrisserie de bananes.
Depuis le port de Brest, le Canada fait rêver. Lorsque l'on déambule dans la zone portuaire, on imagine forcément l'autre côté de l'océan. L'idée de partance est ancrée dans l'imaginaire des Bretons. Le port de Montréal n'a évidemment rien à voir avec celui de Brest. Mais le rêve de nos marins est toujours là. J'y pensais en arpentant le quai Jacques Cartier. En remontant vers le vieux Montréal, au coin de la rue d'Ottawa, j'ai découvert cette fonderie. Quel joli nom, Darling. Les ouvriers québécois devaient bien aimer leur usine pour l'appeler Chérie !! Ou bien avaient-ils un sens de l'humour très développé pour mieux accepter les terribles conditions de travail infligées par les industriels anglophones qui surexploitaient à outrance les immigrants venus des pays de l'Est.

J'ai trouvé la rénovation de cette ancienne usine intéressante. Il subsistait quelques traces de la mémoire ouvrière. Et puis j'ai rencontré Caroline Andrieux qui m'a parlé de quelques jeunes artistes québécois et particulièrement de Jean Pierre Aubé. En dehors des visuels, des dossiers, la rencontre avec un artiste est toujours du sensible. Son travail en lien avec l'écologie, les éléments et en même temps tous ses « bidouillages » électroniques a excité ma curiosité. Dans ces machines à récupérer le vent (bien sûr chez nous en Bretagne, nous n'en manquons pas !), j'ai ressenti la poésie qui pouvait émerger entre les mots, les sons, les sensations, transcrits dans ses installations. Oui, je crois que c'est cette accroche à la poésie qui m'a séduite dans ce projet et cette idée nouvelle du voyage.

Dans ces « in situ inaccessibles » utilisant des anémomètres qui rejouent le vent dans l'espace de l'exposition, Jean Pierre Aubé nous propose le carnet de voyage d'un arpenteur de rêve. Cet « homme aux semelles de vent »1 est pourtant bien ancré dans le réel, il utilise tous les moyens technologiques actuels. De ses voyages, il nous rapporte des points de vue sonores, sorte de traces des phénomènes physiques de la nature souvent imperceptibles pour le voyageur ordinaire.

Jean Pierre Aubé présente plusieurs installations à Passerelle dont une création résidence réalisée sur le phare du Créac'h à l'île d'Ouessant. « Nocturne » Vidéo de nuit de ce phare le plus puissant du monde situé à la pointe la plus occidentale de France, ultime adieu au vieux continent pour nos marins qui partaient vers le nouveau monde. Le phare du Créac'h est à nouveau présent dans le centre d'art Passerelle cet automne, après l'installation l'an dernier d'une autre artiste québécoise, Michèle Waquant « l'observatoire »

Jean Pierre Aubé utilise dans l'espace de la galerie une installation électronique permettant la diffusion de la même fréquence avec laquelle le phare illumine les côtes d'Ouessant. Son système électronique permet de produire une trame sonore ambiante directement contrôlée par la vidéo du phare.

Il présente aussi « VLF Finlande » (Very Low Frequency), travail réalisé en 2003 en Finlande sur les aurores boréales et une autre installation réalisée lors de la biennale de Serbie « Convertisseur Analogue/Digital.Soleil », système de communication sérielle, un ordinateur, un micro contrôleur, un banc d'essais. « Toutes les 10 secondes, un micro contrôleur interroge une cellule photo électrique située sur le toit de ma maison. De façon générale on peut dire que moins il y a de lumière, plus la cellule photoélectrique résiste. Ainsi, la valeur de cette résistance varie selon la luminosité ambiante »3. La relation art et science prend tout son sens à Brest, lieu d'implantation du Technopôle Brest Iroise où se sont installés des laboratoires de recherches comme le CERV (Centre d'Enseignement et de Rechercher Virtuelle) qui sont à la pointe de la technologie actuelle. Le phare du Créac'h est le dernier maillon de la technologie fantastique développée au siècle dernier. Bien des catastrophes maritimes ont pu être évitées grâce à lui avant l'invention du GPS (Global Positioning System).

Ainsi l'art devient lien entre deux époques, l'artiste, le chercheur comme le poète avançant sur le même front. Sait-on qui précède l'autre ? Chopin peut continuer de jouer ses Nocturnes et les scientifiques comme les artistes continuer de rêver.