Plusieurs institutions françaises s’associent entre fin 2004 et début 2005 pour présenter un ensemble d’expositions destiné à rendre compte de la manière la plus complète possible du travail de l’artiste Marylène Negro. Il s’agit de l’École Supérieure d’Art du Mans, du Musée d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg, du Musée d’art contemporain Val-de-Marne/Vitry, du Fonds Régional d’Art Contemporain (Frac) des Pays de la Loire à Carquefou, du Fonds Régional d’Art Contemporain de Haute-Normandie et du centre d’art Passerelle à Brest. L’agence Stéphane Ackermann (Luxembourg) lui consacrera également une exposition en février 2004. Sous le titre Negro toi-même une publication paraîtra au cours de l’hiver qui, sous la direction de Pierre Leguillon et à travers les contributions de Charles-Arthur Boyer, Sylvie Fortin, Patrick Deville, Jean-Marc Huitorel, Jean-Charles Massera, Xavier Person et Sylvie Zavatta, proposera à la fois des approches inédites du travail et une sorte de synthèse critique.

Nous voulons dédier l’ensemble de ces manifestations à Jean-François Taddei, récemment disparu, et qui s’était engagé avec enthousiasme dans ce projet.

Depuis le tout début des années 90, le travail de Marylène Negro se fonde sur le croisement de procédures d’interpellation de la réalité sociale, des pratiques d’échanges et d’infiltration qui s’y développent et de données autobiographiques rigoureusement et très discrètement explorées. Longtemps les objets qu’elle produisit n’eurent d’existence qu’en ce qu’ils témoignaient de ces préoccupations. Volatiles et nomades, ils prirent souvent l’apparence d’affichages ou de montages éphémères de photographies, mais également de T shirt (I    art), d’éditions d’artiste ainsi que de pièces sonores. Petit à petit, et sans que les fondements ou les enjeux en soient modifiés, la part visible de l’œuvre apparaît sous la forme de vidéos et de films.

La dialectique entre l’aveu de l’espace privé, quoique à l’opposé de l’anecdote intime, et l’attention très soutenue portée aux manifestations les plus communes comme les plus insolites du monde caractérise plus que jamais les dernières vidéos comme les photographies les plus récentes.

Steve & Alex, l’exposition de Brest s’articule autour de trois pôles, l’un sonore, les deux autres visuels. Il y a peu, au musée archéologique de Naples, Marylène Negro a reconnu les deux athlètes autour desquels tournait la caméra de Roberto Rossellini dans Voyage en Italie et découvrit alors le bleu de leurs yeux que ne révélait pas le film en noir et blanc. Elle en a fait cette photographie qui est l’image du carton d’invitation et des affiches dispersées dans les panneaux d’affichage de la ville.
C’est dans ce même film de Rossellini qu’Ingrid Bergman prononce un nom, « Alex ». Ce double appel est ici retravaillé par l’artiste et constitue la matière d’une pièce sonore (1997) diffusée par haut-parleur, énigmatique et unique présence dans l’immensité de l’espace central de Passerelle. Mais on verra à quel point le souffle vocal d’Alex rejoint cette quête éperdue du regard de l’autre, de l’absolu vis-à-vis qui au cœur du travail de Marylène Negro.

Steve est un ensemble de photographies de Steve Mc Queen, photographiées par l’artiste dans un album consacré à l’acteur américain. Les vues sont prises dans la dynamique des pages, de leur feuilletage et des ondulations que cela provoque. C’est un Steve Mc Queen capté par la subjectivité fascinée du regard photographique qui se dévoile ainsi, une image d’image où vient se glisser la constante attention d’une artiste en veille sur le monde.
Des dizaines et des dizaines de ces photos sont accrochées sur les murs bruts du centre d’art, entre posters de chambre d’adolescent et revisitation des mythologies. Alex et Steve se rejoignent ainsi, comme ailleurs Jules et Jim, dans ces interférences volatiles et lancinantes entre la rêveuse vigilance de l’artiste et les sortilèges de la fiction.