Cette exposition vise à présenter des œuvres qui soulèvent des questions d’attributions identitaires, de codes de représentations sociales et leur dé/construction qui sont implantés dans le rapport entre corps, vêtement et espace. Les œuvres remontent souvent à l’architecture et aux théories de l’habillage soulevées par Adolf Loos et Gottfried Semper, qui proclament une interaction du corps humain et de l’espace public ainsi que privé.

D’un côté, les œuvres se situent à l’interface de la sculpture et du design de mode. De l’autre, en revanche, elles établissent un rapport direct entre le corps du spectateur et la peinture et sa représentation de regards fragmentés des intérieurs.

Regina Möller
Embodiment - Wende Mantel, 2004
Embodiment – Still Life, 2002
Kohle, 2002
Regina Möller exploite des matériaux de base empruntés à la culture de masse dans leur relation à la vie quotidienne en général, et à sa propre vie en particulier. A travers ces catégories, elle interroge les modes de production, de diffusion et de réception de l’art et conteste ainsi le credo de l’autonomie de l’art.

Embodiment est un label créé par Regina Möller en 1994. Sous ce nom, elle produit en édition limitée des meubles, du papier peint, des tapis, des accessoires ainsi que des vêtements imprégnant les matériaux de nouvelles, d’inhabituelles significations. Elle questionne en particulier les connotations formelles identitaires de ces produits et examine leurs paramètres socio-culturels au delà des modes actuelles et éphémères. Les productions Embodiment peuvent être portées ou utilisées comme des objets de design fonctionnels. Ils font référence également au portrait et à la sculpture.
Embodiment doit être compris comme un lien entre l'art et le design et la relation entre le corps et le costume sociétal et environnemental.

Wende Mantel (traduit littéralement par « manteau réversible ») est composé de fibres compressées utilisées pour l’expédition d’œuvres d'art, de doublure de soie et de textiles venant de l'Est. C’est le manteau du changement - des deux côtés, et de leur fusion. En Allemagne, la réunification de l'Est et l'Ouest est souvent désignée comme la "Wende" (qui peut être traduit par « renversement »).
Le manteau est fait de contrastes : sans valeur et précieux, terne et brillant, fragile et fort. Il peut s’enrouler autour du corps de trois façons différentes - en recouvrant toujours tout, sauf les yeux et le bout des doigts. Les coutures restent visibles ; la couture devient alors une manière d'identifier les déchirures dans le tissu social et historique, pour ensuite les coudre à nouveau ensemble.

"Le manteau kimono de la collection Still life ainsi que la jupe assortie sont réalisés à partir d’un tissu à carreaux bleu et blanc appelé « Grubentuch » (traduit littéralement par « tissu de mine ») avec la typique bordure rouge. Aujourd'hui, ce tissu est utilisé pour faire des torchons, mais à l'origine, il était utilisé par les mineurs pour se sécher, parce que la poussière de charbon était moins visible sur ce tissu. Aujourd’hui, il est encore fabriqué par les usines de tissage de la région de Münster pour les acheteurs de la vallée de la Ruhr et au-delà. Marqué d’une étiquette rouge, sa texture raconte l'histoire d'une région qui était autrefois le cœur industriel du continent : les mines de charbon de la vallée de la Ruhr. Quand nos parents étaient enfants, cette industrie minière couvrait toute la région d’une fine couche de poussière de charbon qui noircissait le contour des yeux des mineurs et qui leur donnait un regard brillant d’une douceur déchirante comme s’ils portaient de l’eye-liner.

L'histoire régionale ancrée dans ce tissu est mélangée à un costume importé du Japon il n’y a qu’une vingtaine d’années en Europe.

Regina Möller crée des vêtements qui racontent une histoire, des textiles qui sont en attente de textes à déchiffrer. "  (Barbara Vinken, “Singularity”, in : Regina Möller embodiment – dress plot, catalogue d’exposition, Sécession, Vienne, 2004)

Cristof Yvoré
sans titre, 11 huiles sur toile de 2006 à 2011
Cristof Yvoré semble travailler assez peu, mais ces travaux, exposés de rares fois, sont posés, réfléchis et calculés. La touche est sûre, la réflexion, à chaque tableau, est profonde. C’est un travail lent et silencieux. Cette réflexion ne se porte jamais sur les grandes questions de notre monde, mais sur ses détails, infimes pour le plus grand nombre, mais si important pour qui sait qu’un ensemble est une infinité de détails. Cristof Yvoré expose l’insignifiant : un angle de mur, une boîte en fer, un bouquet de fleurs ou des pipes en terre cuite. Ces morceaux de réel révèlent un monde plus vaste, plus grand que ne saurait contenir aucune peinture.

Il y a une démarche typiquement épicurienne chez lui : le détail qui dénonce le tout, une capacité à observer le petit comme poétique du monde. Ainsi agrandit par un pathos pictural charmeur, c’est moins la condition d’une boîte de fer qui est dévoilée que notre propre statut, humain ancré dans une réalité coordonnée par le temps. Ces objets montrés par la peinture restent indifférenciés, inqualifiables : une boîte sans marque, des fleurs énigmatiques sans appartenance botanique. Sa peinture ne montre rien, ne parle de rien mais crée une succession de sentiments, d’affects, révélant la condition du spectateur. L’angle de mur « Yvorien » ne peut que renvoyer au petit pan de mur jaune proustien : même silence, même profondeur.

Le plus souvent sur de grands formats, la couche est grasse et épaisse, granuleuse aussi. Elle semble se dresser sur la toile par couches successives où chaque étape s’opère par couleurs différentes et inconciliables : par exemple, une couche ocre cache une couche de vert Véronèse qui tente malgré tout de s’exprimer par transparence. Le tout rend une profondeur troublante donnant aux objets dépeints une présence et une instabilité inédite.

Franz Erhard Walther
Nature Morte, 1958
Handlungsraum, 1963-1971
L’origine du travail de Franz Erhard Walther tient autant à sa formation de peintre marquée par les préoccupations de l’art informel des années cinquante qu’à une profonde remise en cause du statut et de la finalité de l’œuvre d’art. Le questionnement de la forme, sa genèse ou sa presque disparition, l’occupe alors parallèlement à des attitudes qui privilégient le processus d’élaboration plutôt que son aboutissement.

Nature morte ainsi formulée et peinte à la gouache ne présente pas de motifs figuratifs, comme il est d’usage dans ce genre pictural, mais simplement le terme qui occupe tout l’espace de composition. L’œuvre agit comme fragment de la langue. Franz Erhard Walther pratique le dessin depuis toujours, privilégiant le processus d’élaboration plutôt que son aboutissement. Nature morte fait partie d’une série de dessins qui sont l’équivalent d’un journal. Leur rôle n’est ni documentaire, ni explicatif : ils permettent de formuler des idées, des concepts et des expériences.

Handlungsraum (Action Espace), ensemble composé d’une veste, d’un pantalon, de deux cannes et d’une sorte de paravent, est élaboré en plusieurs étapes. En premier lieu, le vêtement, pensé comme une enveloppe qui transforme le corps en sculpture ; puis à partir de 1971, l’adjonction de l’espace d’angle, envisagé comme une portion d’architecture, un site particulier et les cannes, outils d’une possible action. Ces différents objets constituent les termes d’une proposition, plus précisément d’une situation sculpturale, dont le corps physique ou mental est l’opérateur dans le temps et l’espace. La période d’élaboration d’Action espace, particulièrement longue, renvoie à l’importance accordée à l’histoire, la mémoire, le langage et le dessin.

Jakob Lena Knebl / Markus Hausleitner / Heimo Zobernig
Alte Sachen, 2010
L’œuvre de Heimo Zobernig est impensable en dehors du constat que l’abstraction est parvenue à un moment critique de son histoire. Dans chacune de ses interventions se joue donc la question de la survie de son vocabulaire, de sa valeur en tant que langage représentatif d’une position esthétique, de son autonomie, de sa résistance à l’instrumentalisation, de son efficacité en tant que forme adaptée à une certaine situation historique. Ces questions expliquent la diversité de l’œuvre de H. Zobernig – comme s’il s’agissait, dans les contextes les plus variés, de mettre à l’épreuve les formes issues du modernisme abstrait.

L’œuvre intitulée « Alte Sachen » a été réalisé en collaboration avec le designer de mode viennois Markus Hausleitner (du groupe House of the very island's royal club division middlesex but the question is where are you, now ?), l’artiste Jakob Lena Knebl, à partir de « vieux costumes » (« Alte Sachen » signifiant « vieilles choses ») de Heimo Zobernig. Cette installation (qui a été présentée sous la forme d’un spectacle, un défilé de mode mis en scène dans la galerie Christian Nagel à Berlin en 2010) est liée aux questions de genre et plus précisément de transgenre.